grands mouvements historiques naissaient à peu près en même temps, avec chacun un idéal et des objectifs parfaitement louables - la liberté et le salut de leurs peuples, leur renaissance culturelle et sociale - chacun s'efforçant de réaliser ses projets sur le même territoire exigü, et chacun ignorant complètement l'existence de l'autre.
Une fois l'organisation sioniste créée, elle commença à envoyer des colons en Palestine, d'abord peu nombreux. Puis leur flot fut grossi par la situation critique des Juifs en Europe. Imprégnés des idées les plus nobles, certains de ces immigrants voulaient implanter la société la plus juste et la plus belle qui eût jamais existé, avec les kibboutzim, les moshavim et autres expériences utopiques. Us furent étonnés, puis furieux, quand leurs nouveaux voisins restèrent insensibles à la beauté de leur entreprise. N'avaient-ils pas acheté la terre en monnaie sonnante? N'avaient-ils pas transformé des boutiquiers et des agents de change en travailleurs manuels, qui maintenant labouraient le sol? N'avaient-ils pas apporté à leurs voisins les bienfaits de la médecine moderne? Ne leur avaient-ils pas offert des concerts de Beethoven et de Brahms, assurément préférables à leurs chants arabes, laids et monotones?
Pour les Arabes, évidemment, il en allait tout autrement. Voilà une bande d'étrangers, venus d'on ne sait où, qui proclament que le pays leur appartient sous prétexte que de vagues ancêtres y ont vécu il y a deux mille ans. Ils achètent la terre à de riches propriétaires fantômes, chassent les fellahs qui la cultivaient depuis des générations, créent des colonies où les Arabes ne sont pas autorisés à vivre et persécutent tous les Juifs qui osent les employer à la place des nouveaux boutiquiers sionistes changés en laboureurs.
Qui avait raison? Qui avait tort? Chaque camp était parfaitement convaincu de son bon droit. Des sionistes progressistes, comme Haïm Weizmann, allèrent jusqu'à reconnaître que personne n'avait tort ou raison, que les deux positions étaient légitimes. Mais peut-être était-ce là une simplification commode.