très bien pu entrer dans Bagdad, qui était vide de forces ennemies, et aurait eu tout loisir d'arrêter le pogrom. Pourtant, elle s'était abstenue de le faire: délibérément, pensait Sartawi.

Sa théorie était la suivante: les Britanniques et leurs alliés locaux avaient encouragé le pogrom afin de dissiper le sentiment général que le roi et ses hommes étaient des marionnettes britanniques, retournant dans des chars anglais. Le pogrom avait servi d'exutoire aux haines et aux frustrations, et permettait au nouveau régime d'exploiter le fanatisme du peuple.

Plus Sartawi cherchait, plus le brouillard s'épaississait. Tous les documents britanniques se rapportant à ce massacre étaient gardés secrets. Et ils le restèrent, même quand Sartawi eut convaincu un de ses amis de soulever le lièvre au Parlement à Londres. Tout paraissait confirmer ses soupçons.

Mais un autre épisode concernant le sort des Irakiens attira son attention.

En 1950, alors que Sartawi avait seize ans, le gouvernement irakien annonça un jour que tout Juif désirant quitter l'Irak était libre de le faire, à condition d'abandonner sa nationalité et ses biens. L'objectif évident était de permettre à ces Juifs d'émigrer dans le nouvel État juif de Palestine, et il y avait tout lieu de penser qu'un accord avait été passé entre le régime hachémite d'Irak et le gouvernement de Ben Gourion en Israël. Le décret fixait une date limite pour cet exode. Mais chose étrange, quand la date approcha, très peu de familles avaient demandé des autorisations de sortie.

C'est alors que, mystérieusement, des bombes se mirent à exploser dans les synagogues et autres endroits fréquentés par les Juifs. Elles provoquèrent une panique, et du jour au lendemain, les rangs de ceux qui voulaient partir grossirent. La grande communauté juive de Mésopotamie, qui avait vécu là deux mille cinq cents ans, depuis le premier exode, avait pratiquement cessé d'exister. C'est ainsi que commença la désolante histoire des réfugiés juifs orientaux, qui aujourd'hui plus que jamais préoccupe Israël.

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