L'un de ces immigrants malgré lui vint me voir seize ans plus tard et me raconta une bien étrange histoire: les bombes auraient été posées par des Juifs, en fait par une cellule clandestine commandée par des agents secrets envoyés d'Israël. C'est d'ailleurs ce que les autorités irakiennes avaient prétendu depuis le début. Deux Juifs irakiens, à l'issue d'un procès, avaient été déclarés coupables et pendus. Mais le gouvernement israélien avait crié à la diffamation et cité cette affaire comme un nouvel exemple de labarbarie arabe.

Après la divulgation de l'Affaire Lavon - des bombes avaient été placées dans des locaux britanniques et américains en Egypte par une cellule clandestine juive commandée par les services secrets israéliens, sous les ordres, paraît-il, du ministre de la Défense Pinhas Lavon - l'affaire de Bagdad devint plus plausible. Je publiai donc ces révélations dans mon magazine le 20 avril 1966, déclarant carrément que les bombes avaient bien été posées par des agents israéliens, envoyés par le gouvernement de Ben Gourion, dans l'esprit de ce qu'on appelait alors le « sionisme cruel », c'est-à-dire, l'idée qu'il fallait utiliser des moyens brutaux pour déloger les Juifs des lieux de perdition de l'exil et les pousser vers la Terre promise.

Et maintenant, quelques années plus tard, Issam Sartawi étudiait lui-même ces événements. En examinant les dossiers secrets de la police politique irakienne et le compte rendu du procès des deux Juifs irakiens, il tomba sur des faits révélateurs. Deux agents israéliens avaient été appréhendés dans un grand magasin de Bagdad tout de suite après les explosions, ayant été reconnus par un employé réfugié de Saint-Jean-d'Acre. Par le plus grand des hasards, il avait une fois servi un café à l'un d'eux qui était alors gouverneur militaire en Galilée. Les deux hommes furent arrêtés, mais l'un d'eux, Mordechai Ben Porat, qui devint plus tard ministre dans le gouvernement du Likoud, fut mystérieusement relâché quelques jours plus tard, alors que tous les autres membres de la cellule étaient arrêtés. Le deuxième agent israélien fut condamné à mort, mais sa sentence fut commuée en emprisonnement à vie, et il fut secrètement

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