Quelques minutes plus tard, nous étions en route pour Orly. Un jeune Marocain nous accompagnait. Il donna à chacun de nous un document dactylographié avec notre photo.

Nous n'en menions pas large en approchant du fonctionnaire français qui contrôlait les passeports. Il jeta un rapide coup d'oeil à nos papiers, et sans broncher, fit signe de passer à ces trois singuliers Marocains. En attendant nos cartes d'embarquement, nous nous retrouvâmes dans une longue file de Marocains. Notre accompagnateur avait disparu. Entre nous, nous parlions aussi peu que possible, en anglais, et à voix basse. L'attente fut interminable, mais finalement nous fûmes installés en première classe, entourés de ravissantes hôtesses marocaines qui commencèrent par nous offrir du champagne.

Tout allait trop bien. Quelque chose viendrait sûrement gâcher le miracle. C'est bien ce qui arriva, mais pas comme nous le pensions.

Nous étions encore au sol, quand je perçus de l'effervescence. Un couple de Marocains d'un certain âge venait d'entrer, un air de prospérité et d'importance sur toute leur personne. Il ne restait pas de place pour eux. Le commissaire de bord, d'un geste péremptoire, désigna le docteur Murabet et le docteur Othmam - Matti et Issam - et, s'excusant à peine, leur dit d'aller en classe économique. Notre position était trop délicate pour qu'ils protestent. Ils suivirent donc docilement le commissaire de bord jusqu'à l'arrière de l'avion, où on les installa près des toilettes.

Issam n'a jamais oublié cet incident. Par la suite il le racontait souvent. Il pouvait oublier les dangers, les tentatives d'assassinat, les échecs et les rebuffades, mais pas l'humiliation d'avoir été obligé de voyager dans la classe économique bondée, où on lui avait servi de la nourriture immangeable (selon lui), alors qu'il allait voir le roi du Maroc.

D'après lui, l'outrage suprême avait été de me voir apparaître à la porte des premières, portant des friandises et une bouteille d'un délicieux champagne, et m'enquérant d'eux avec sollicitude.

187