êtes aussi allemand que nous. Votre famille a toujours vécu en Allemagne. Rien ne peut vous arriver ici 1 "

Nos amis et nos parents étaient furieux contre mon père. Cette décision était encore un effet de sa bizarrerie. " Vous êtes complètement fou, s'écrièrent-ils. On n'a pas idée de fuir comme ça! Que peut-il vous arriver? Nous vivons dans un pays civilisé. Ce Hitler s'agite beaucoup mais il sait bien qu'il n'eSt rien sans nous. A la rigueur il se débarrassera de quelques Juifs polonais (et ce ne serait pas un mal) mais sans plus. " Nous, les enfants, nous écoutions ces discours et nous n'avons pas oublié. Mon père était obstiné. Sans pouvoir le prouver, il était sûr d'avoir raison. Il vendit tout ce qu'il possédait et prépara notre départ.

Nous avons vécu nos derniers jours en Allemagne dans une agitation fiévreuse. Mon père soupçonnait l'un de ses associés de nous avoir dénoncés à la Gestapo. Et la famille se sépara, pour passer la frontière sans éveiller de soupçons. Chacun des parents se chargea de deux enfants. J'étais avec ma mère qui perdait sans cesse quelque chose. Quand nous atteignîmes la frontière, les fonctionnaires nazis vérifièrent nos passeports et firent un signe de la main. C'était fini. Le train roulait déjà en territoire français. Pour l'enfant que j'étais, c'était une nuit de grande émotion. Depuis ce jour, la France eSt restée pour moi un symbole de liberté. J'aime la France. Je l'aimais même quand je constituais un Comité de libération de l'Algérie et que j'appuyais le F.L.N. dans sa lutte contre les Français.

Deux semaines plus tard, nous étions tous réunis sur le pont du bateau et nous regardions se rapprocher les rivages de la Palestine. Pour nous, les enfants, c'était une expérience exaltante. Nous allions aborder à ce monde neuf dont on nous avait tant parlé. Mais je me suis souvent demandé par la suite ce que mes parents avaient pu ressentir à ce moment-là. Quel courage il leur a fallu! Mon père avait quarante-cinq ans. Il avait toujours connu une vie paisible et voilà qu'encombré d'une femme et de quatre enfants, il se trouvait jeté dans un pays inconnu, face à une existence totalement différente, aux prises avec une langue étrangère qu'il ne réussit jamais à maîtriser.

C'était un pays rude. Le petit capital ramené d'Allemagne fut rapidement englouti dans quelques tentatives malheureuses.

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